Les musées et la culture sur Tik Tok

Il fallait oser. Mixer un gros nounours tout mignon enlaçant le très altier grand-duc Cosme Ier de Médicis peint par le Bronzino en 1545, le tout sur les trémolos d’une chanson d’amour italienne ! Le musée des Offices de Florence n’a pas peur, depuis avril dernier, de mélanger les genres sur son compte TikTok, ce réseau social spécialisé dans les vidéos courtes, à base de danses et de chants prisés par les 15-25 ans. De même, voici Flora, autre star de l’établissement, totalement transformée. La gracieuse jeune femme personnifiant le printemps selon Botticelli se retrouve dotée de lèvres pulpeuses entonnant une ritournelle. Plus de 33 000 personnes ont regardé ce montage surréaliste sur la plateforme détenue par la société chinoise ByteDance.

L’année dernière, les musées dans le monde entier ont fermé plusieurs fois leurs portes et ont dû faire preuve d’ingéniosité afin de rencontrer leur public en ligne. En France, depuis une dizaine d’années, les institutions culturelles avaient toutes déjà investi YouTube, Facebook, Twitter et plus récemment Instagram. Mais la pandémie a boosté leur créativité, tout comme la fréquentation de leurs profils, et accru le nombre de leurs abonnés. Le Louvre, par exemple, rassemble en cette fin d’année, 4,3 millions de fans sur Insta.

Dans le monde, peu de musées ont cependant choisi d’imiter les « Offices » et d’ajouter TikTok à leur arsenal numérique. Trop récent – deux ans seulement de présence en Europe, mais 100 millions de visites mensuelles revendiquées –, trop décalé, trop casse-gueule peut-être ? Dans les pionniers figurent le Prado à Madrid, le Met à New York (mais qui a très peu posté de vidéos), le Rijksmuseum à Amsterdam. En France, le Grand Palais s’y est mis en juin, suivi en cette fin d’année par le château de Versailles depuis le 10 novembre, par le Quai Branly-Jacques-Chirac et par les musées Picasso et de l’Armée.

S’adresser aux plus jeunes
Il y a quinze jours, TikTok lançait même une semaine d’animations avec plusieurs institutions culturelles françaises, organisant des live. Une opération qui devrait voir, selon TikTok « de nouveaux établissements rejoindre notre communauté dans les semaines qui viennent ».

Le château de Versailles y a participé, proposant une visite exceptionnelle le 16 décembre. Plus de 80 000 personnes l’ont suivie, posant de nombreuses questions. « Nous voulons parler à toutes nos communautés, notamment aux plus jeunes, en utilisant les canaux qui leur sont propres, dont TikTok », explique Paul Chaine, chef du service du développement numérique à Versailles. « On pourrait penser que le château du Roi-Soleil et TikTok n’ont pas d’ADN en commun, ajoute Thomas Garnier, community manager et chef de projet numérique, mais c’est ce qu’il fallait faire, au contraire. On n’attend pas Versailles sur cette plateforme et cela crée un effet de surprise, cela casse l’image de “visite scolaire” associée au domaine. »

Plus de 18 000 personnes se sont abonnées au compte du château en moins de deux mois. Et plus de 400 000 ont regardé la découverte à toute allure du château, en moins d’une minute rythmée par de la guitare nerveuse, de quoi secouer les tentures ! « On s’amuse avec la musique, on teste encore les choses pour voir ce qui marche », précise Thomas Garnier, qui poste trois vidéos par semaine. Le musée du Quai Branly, qui fait partie des premiers sur TikTok, est en train de définir sa ligne éditoriale. « Nous voulons montrer la diversité de nos collections en plaçant comme point d’entrée l’origine géographique des œuvres présentées », décrit Thomas Aillagon, directeur de la communication – également numérique – du musée. « Nous allons faire des choses simples et garder notre identité. » Sur TikTok, plateforme mixant musique, danse et sketches, il faut trouver le ton juste. Être iconoclaste sans abîmer les icônes.